CANADA HISTORY - Documents

John Dienfenbaker - Le Commonwealth

Analysis of the Document - (The Document follows below the Analysis)

Docuement analysis


Placeholder image

Le très honorable John George Diefenbaker

Discours sur ce que represente le Commonwealth

le 30 mars 1962

Je vous parlerai ce soir du Commonwealth, mais je ne tenterai pas de le définir en spécialiste du droit constitutionnel. A mon sens, le Commonwealth ne se prête guère à une définition; je songe surtout à sa genèse, ainsi qu'aux attributs qui lui ont sans cesse permis et qui continuent de lui permettre de jouer un rôle dans les affaires mondiales.

Pour bien percevoir l'équilibre complexe que représente le Commonwealth d'aujourd'hui, il faut d'abord retracer les diverses étapes de son évolution.

Il y a divergences d'opinions sur la date de son origine, qui se situe loin dans l'histoire. En tout état de cause, sa première phase de croissance a pris fin peu de temps après la seconde guerre mondiale.

Qu'est-ce qui caractérise cette première phase? Tout d'abord, les premiers membres étaient de souche britannique ou, du moins, de souche européenne. Tout naturellement, ils ont hérité du patrimoine politique de la Grande-Bretagne. En deuxième lieu, leur loyauté et leur allégeance à la Couronne n'étaient ni mises en doute ni imposées. En troisième lieu, ils collaboraient librement. Des institutions libres animaient leur association, et à la moindre menace de tyrannie ils volaient à l'avant-garde du combat pour la liberté.

Les pays fondateurs n'ont pas adhéré au Commonwealth, mais ils l'ont créé de toutes pièces. Ils voyaient en lui non seulement l'expression sentimentale d'une famille de peuples, mais leur principal point d'appui dans les affaires internationales.

Époque de transformation

La seconde guerre mondiale et ses suites ont amené des changements radicaux. Des nations nouvelles ont surgi et ont réclamé l'indépendance et la liberté. Pour la première fois, des peuples de race non blanche, de croyance non chrétienne et de souche non européenne affirmaient leurs droits à une participation complète et égale.

L'ampleur de vues, la tolérance, la générosité,concrète et l'esprit créateur des premiers membres se sont heurtés à des difficultés. Certains pensèrent que les différences de race seraient insurmontables. On doutait de pouvoir trouver un lien avec la Couronne qui fût acceptable aux divers pays du Commonwealth.

D'autres craignaient que les nouveaux pays d'Asie et d'Afrique, qui avaient été occupés plutôt que colonisés, se laissent emporter dans le courant de la liberté et qu'ils ne veuillent ou ne puissent demeurer en association étroite avec les premiers membres, notamment avec la Grande-Bretagne. Fatalement les nouveaux pays auraient, à l'égard du Commonwealth et de la Couronne, une autre attitude que celle des membres auxquels ils se joindraient. Le Commonwealth ne serait plus jamais le même, de nouvelles fibres faisant dorénavant partie de sa contexture. Seul le temps révélerait ce qu'il en adviendrait.

La diversité dans l'uniformité

Mais enfin, après angoisses, expérimentations et compromis, on triompha des hésitations, on surmonta les difficultés et on apprit à tolérer les différences. La richesse de la diversité l'emporta sur le mode restreint de l'uniformité. L'Inde et le Pakistan rompirent les premiers avec l'indécision et donnèrent leur adhésion. L'inde devint ensuite la première république du Commonwealth.

Un rôle positif pouvait-il échoir à un groupe hétérogène de peuples et de races, comportant divers degrés d'évolution et divers milieux, s'ils n'étaient liés par le sang et la tradition, comme les premiers membres ? Tout pays du Commonwealth est aujourd'hui une réponse vivante à ces questions.

Troisième étape

Nous nous sommes engagés, à mon sens dans une troisième phase de développement; celle-ci a été accélérée par la double poussée du nationalisme et de la décolonisation. Soudain, en moins d'un lustre, la conception du cercle étroit, de la participation restreinte, s'est transformée du tout au tout. Ainsi, tous les territoires qui accèdent à l'indépendance par des voies constitutionnelles tracées de concert avec la Grande-Bretagne peuvent s'attendre à être accueillis comme membres de plein droit, s'ils le souhaitent et s'ils possèdent de l'avis des membres, suffisamment d'aptitudes politiques et économiques.

En outre - c'est là un point essentiel depuis mars 1961 - ils doivent accepter le principe de l'égalité en matière de race, de croyance et de couleur. La fin et la destinée du Commonwealth interdisent tout régime fondé sur une dualité de conditions.

Les membres

La plupart des pays qui ont accédé à l'indépendance en collaboration avec la Grande-Bretagne ont choisi de demeurer dans le Commonwealth. Toutefois l'Irlande et la Birmanie, dans des circonstances fort différentes, ont décidé de faire cavalier seul. La Somalie anglaise et le Cameroun sous tutelle britannique ont formé des États avec des territoires voisins non compris dans le Comonwealth. L'Union Sud-Africaine est sortie de la communauté en 1961 à cause de la désapprobation générale et profonde dont sa politique raciale faisait l'objet.

La liste des membres s'allonge. En 15 ans, soit de 1947 à 1962, leur nombre est passé de 5 à 13. Et l'heure de la décision approche pour d'autres.

Par suite de changements radicaux dans le groupe, l'intimité et la camaraderie de naguère exigent parfois des efforts pour se maintenir. Les institutions libres de l'ancien Commonwealth n'ont pas subsisté partout sans changements. Les consultations complètes sont plus nécessaires maintenant.

De quoi disposons-nous pour remplacer ce qui s'est perdu? Comment pouvons-nous tirer le meilleur parti des attributs qui demeurent?

Dans les affaires internationales comme dans les affaires nationales, seul le réalisme peut assurer le succès de la politique. Pour que les possibilités d'action bienfaisante du Commonwealth s'accomplissent, il faut que nous comprenions et respections ses limites et son potentiel d'utilité.

Raisons d'adhérer au Commonwealth

Beaucoup de motifs ont poussé let pays nouveaux à.demander leur admission au Commonwealth ces dernières années, et beaucoup de même ont incité les membres anciens à préserver les liens du Commonwealth. Il y a les avantages matériels du commerce, de l'assistance économique et technique, de la coopération scientifique, etc. Les échanges commerciaux ont constitué un élément essentiel de solidarité au cours des transformations successives du Commonwealth. Le commerce a profité à tous les membres. Les rapports commerciaux entre les pays du Commonwealth ont présenté une grande variété.

Ces dernières années, le traitement préférentiel a été général entre les membres. Si le Commonwealth doit faire preuve de souplesse et s'adapter aux circonstances changeantes, il importe d'autre part de conserver les avantages réciproques de cette association de comerce.

L'aide, tout comme les échanges commerciaux, doit prendre une place importante dans le Commonwealth d'aujourd'hui. En fait d'assistance économique et technique, ce sont les nouveaux membres qui ont le plus à gagner, du fait d'un développement moindre à ce moment de l'évolution du Commonwealth. Là où la pauvreté et la,famine sévissent, la liberté est un danger. Il faut donc hausser les niveaux de vie.

En matière d'aide. la contribution du Canada au développement des nouveaux membres du Commonwealth est constituée principalement des 50 millions de dollars versés annuellement dans le cadre du Plan de Colombo. Les pays africains du Comonwealth et les Antilles britanniques reçoivent également des parts importantes de l'aide canadienne.

Les avantages de l'aide

Il nous est très utile de participer à cet effort mondial. Ceux qui mettent en doute les dépenses au titre de l'aide extérieure devraient tenir compte de la valeur des marchés nouveaux. Sur le plan matériel, l'aide actuelle pourra se traduire demain par des échanges accrus. Une coopération généreuse peut nous être profitable à nous-mémes en même temps qu'aux autres.

Les échanges dans le domaine de l'enseignement montrent que la collaboration peut profiter à plusieurs. Dans le cadre du programme du Commonwealth en matière d'éducation, proposé par le Gouvernement canadien à la Conférence économique et commerciale, à Montréal,en 1958, près de 200 étudiants venus des autres pays du Comonwealth suivent actuellement des cours dans les universités canadiennes. D'autres part, 61 Canadiens ont reçu des bourses d'études valables dans d'autres pays du Commonwealth.

En outre 152 étudiants et stagiaires des autres pays du Commonwealth se trouvent actuellement au Canada en vertu du plan de Colombo, et 69 autres en vertu du Programme spécial d'aide à l'Afrique. Enfin, 50 Canadiens (enseignants, médecins, savants, administrateurs, et autres spécialistes) sont ici et là dans le Commonwealth en mission d'assistance technique dans le cadre du Plan de Colombo. En outre, 40 Canadiens font office de conseillers en divers domaines aux termes du Programme spécial d'aide à l'Afrique, 7 ont été envoyés dans cette partie du monde en vertu d'un programme canadien distinct et 6 autres sont à l'oeuvre dans d'autres pays du Commonwealth.

D'autre part, les effectifs des universités canadiennes comprennent un nombre encore plus grand d'étudiants des autres pays du Commonwealth venus au Canada indépendamment des gouvernements; de même, un nombre considérable de Canadiens font des études dans les autres pays du Commonwealth.

Dans quelle mesure ces échanges contribuent-ils à la compréhension entre peuples et entre races? On ne saurait ni l'évaluer en argent ni l'établir par des statistiques. Pour préserver son unité et sa puissance, le Commonwealth doit faire ce qu'il y a de mieux dans le domaine impondérable des,rapports entre les hommes qui influent sur les attitudes et la politique des pays.

Le besoin que ressentent aujourd'hui tous les peuples de se trouver des associations naturelles dans le monde compte parmi les puissances d'attraction du Commonwealth.

La souplesse du Commonwealth

Le Commonwealth a de la souplesse. Il n'empêche pas ses membres d'appartenir à d'autres groupements. De fait, les membres du Commonwealth ont noué des liens avec des pays de l'extérieur. Tous peuvent jouir des avantages de la communauté sans renoncer à leurs liens avec des voisins ou des alliés de l'extérieur.

L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont membres de l'ANZUS et de l'OTASE; le Canada et la Grande-Bretagne, de l'OTAN; le Canada s'est joint aux États-Unis dans le NORAD; le Pakistan, de l'OTCEN; la Malaisie assure se défense en collaboration avec la Grande-Bretagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande: voilà quelques exemples d'obligations extérieures, qui n'interdisent pas aux membres de rester fidèles à la communauté.

Il faut admettre que les membres africains se préoccupent des aspirations africaines; il importe que la participation au Commonwealth ne crée pas de conflit d'intérêt.

Dans le cas de certains pays, tels l'Inde, Ceylan et les pays d'Afrique, un autre facteur important est entré en ligne de compte. Leur réaction devant la menace communiste diffère de celle des membres anciens, de même que de celle du Pakistan et de la Malaisie. Le non-engagement pour ce qui est de la guerre froide est à la base de la politique étrangère d'un groupe puissant et important, au sein du Commonwealth.

Le Commonwealth a assez de largeur d'esprit et des desseins suffisamment vastes pour comprendre dans ses cadres une multitude de pays divers, quelle que soit leur réaction devant la menace communiste. Il faut accepter ces divergences d'opinions qui ne font que réduire l'étendue des points de vue communs entre les membres dans les domaines des affaires étrangères et de la défense.

Au reste, tous les pays du Commonwealth partagent la même détermination d'éviter la guerre. Aussi, à la dernière réunion des premiers ministres une déclaration de principes sur le désarmement a-t-elle fait l'objet d'un accord unanime. Ce fait démontre qu'il existe des points fondamentaux communs entre les pays du Commonwealth et une commune aspiration vers la paix internationale.

La difficulté raciale

Le Commonwealth est-il appelé à durer? Au nombre des questions fondamentales qui ne cessent de s'y poser, on peut classer le problème racial. Les membres africains et asiatiques ont fait valoir à maintes reprises que le Commonwealth ne pouvait transiger sur le principe de l'égalité complète. La position du Canada à cet égard est bien définie. Il s'agit là d'un principe du Comonwealth nettement reconnu, et de fait indispensable à la communauté dans sa forme actuelle.

Les efforts déployés aujourd'hui pour constituer des sociétés pluriraciales dans les territoires d'Afrique (Rhodésie, Kenya et Tanganyika) supposent le respect absolu d'une égalité authentique entre les populations blanches et non blanches et suscitent de grands espoirs pour un avenir immédiat et à longue échéance.

L'égalité des races est un fondement du Commonwealth qu'il est nécessaire de préserver. Il est aussi d'autres droits de l'homme que le Commonwealth a toujours proclamés: liberté de parole, liberté de religion, garantie contre tout acte arbitraire du pouvoir exécutif. Il faut que le Commonwealth demeure un champion de la liberté, que ces objectifs servent toujours de principes à tous ses membres.

Passons maintenant à un autre aspect du Commonwealth, soit à son régime de consultations; il s'agit d'un mouvement constant de renseignements et de délibérations à divers paliers entre plusieurs gouvernements.

Ce régime de consultations a pour axes les réunions des premiers ministres, du Commonwealth. Elles réunissent les dirigeants. Le monde n'offre aucun autre exemple d'entretiens aussi ouverts et aussi vastes au sein d'une conférence ou dans sa zone de rayonnement.

On a étudié récemment l'organisation future de ces réunions. On prévoit que le nombre des membres pourrait s'élever à 24 d'ici une dizaine d'années. Dans une communauté aussi nombreuse, comment pourra-ton poursuivre les délibérations avec la même simplicité et les mêmes avantages? Faudrait-il convoquer un certain nombre seulement de premiers ministres, et, le cas échéant, d'après quelle formule? Ces réunions devraient-elles se tenir, non pas à tour de rôle dans les divers pays, mais, à l'occasion ailleurs qu'à Londres?

Il importe de trouver à ces problèmes des solutions acceptables, car on ne saurait entretenir l'esprit du Commonwealth sans consultations et compréhension entre les dirigeants.

L'année dernière un nouveau problème, aux conséquences sérieuses, s'est posé à ceux qui ont à coeur l'avenir du Commonwealth. La Grande-Bretagne a engagé des pourparlers sur les conditions auxquelles elle pourrait entrer dans le Marché commun européen comme membre de plein exercice. De toute part, on se demande quelles en seraient les répercussions sur le Commonwealth.

La Communauté économique européenne après des efforts pour créer une union économique et politique plus étroite, a abouti au traité de Rome en 1957. Celui-ci représente un succès remarquable pour les six membres: France, République fédérale d'Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg.

Les Institutions de la CEE

1) Le Conseil des ministres - Il se compose de six représentants, soit un pour chaque membre. Il élabore la politique de la Communauté et a le pouvoir de prendre des décisions et d'arrêter des règlements, ce qu'il fait en général sur les recommandations la Commission. Sauf dispositions contraires, les décisions se prennent à la majorité. Toutefois, au cours de la première étape de la période transitoire, qui a pris fin le 31 décembre 1961, la plupart des décisions ont nécessité un vote unanime.

2) La Commission - Elle se compose de neuf membres, choisis en raison de leur compétence générale et offrant toutes garanties d'indépendance. Leur mandat est de quatre ans. La Commission ne peut comprendre plus de deux membres ayant la nationalité d'un même État.

La Commission élabore dans le détail la politique d'application du Traité de Rome (politiques commerciales et agricoles communes) et formule des recommandations au Conseil; elle veille à ce que soient exécutées les décisions de celui-ci et dispose d'un pouvoir de décision propre dans le cadre établi par le Traité de Rome. Dans la pratique, le secrétariat de la Commission à Bruxelles exerce la fonction administrative.

3) L'Assemblée - Elle est formée de 142 délégués désignés par les Parlements des pays membres, mais on envisage leur élection par scrutin universel direct.

Les fonctions de l'Assemblée sont surtout d'ordre consultatif. Par une motion de censure concernant la gestion de la Commission, elle peut obliger les neuf commissaires à une démission collective. L'Assemblée exerce le même rôle auprès du Marché commun, de la Communauté européenne du charbon et de l'acier et de la Comunauté européenne de l'énergie atomique.

4) La Cour de Justice - Elle est formée de sept juges que désignent pour six ans et d'un commun accord les gouvernements des pays membres.

Elle assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application du Traité de Rome. Elle est compétente pour statuer sur les infractions contre le Traité imputées à un membre et sur la valeur juridique des décisions du Conseil et de la Comission.

5) La Banque européenne d'investissements - Disposant d'un capital d'un milliard de dollars, elle facilite par l'octroi de prêts et de garanties, sans poursuivre de but lucratif, le financement des projets ci-après:

a) projets envisageant la mise en valeur des régions moins développées du Marché commun,

b) projets visant la modernisation ou la conversion appelées par l'établissement progressif du Marché communs,

c) projets d'intérêt commun pour plusieurs membres.

D'après une autre disposition du traité, les travailleurs seront libres de se déplacer d'un pays à l'autre après les douze années de la période transitoire; il n'existera plus aucune restriction quant à la faculté pour chacun de s'établir dans l'un ou l'autre des six pays.

Il ressort donc de cette disposition et des autres déjà évoquées que les liens économiques étroits envisagés dans le traité supposent des abandons de souveraineté de la part des membres.

L'une des sources de puissance caractéristiques du Commonwealth est qu'il permet à ses membres des allégeances extérieures.

En sera-t-il encore de même si, au cours des années 60, la Grande-Bretagne s'intègre progressivement à la communauté européenne définie dans le Traité de Rome? Quelle tension s'exercera sur le Commonowealth si son membre le plus ancien et le plus important s'engage d'abord envers l'Europe et accepte les décisions des futures institutions de l'Europe.

On cherche actuellement la réponse à ces questions en même temps que la solution aux problèmes commerciaux que nous posera l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Nous avons proclamé que, si les membres du Commonwealth sont tous libres de prendre les décisions qui leur conviennent, les autres peuvent exiger d'être consultés. Ce principe a été accepté; aussi avons-nous procédé à un échange de vues, à Ottawa, avec M. Heath, le spécialiste britannique des négociations relatives au Marché commun.

Nous avons en outre exposé notre point de vue - qui a été accepté également - selon lequel le Royaume-Uni ne prendra pas décision finale quant à son adhésion au Marché commun, avant que les premiers ministres du Commonwealth aient eu la possibilité d'en discuter à l'occasion d'une réunion.


Cite Article : www.canadahistory.com/sections/documents



Placeholder image
Placeholder image